Logo Courrier inter


Entre 2000 et 2013, plus de 23 000 migrants seraient morts en tentant de rejoindre l'Europe. L'enquête transnationale Migrants Files, réalisée avec les instruments du datajournalisme, révèle de nouveaux chiffres accablants.

Illustration Courrier inter 01042014

Acceder à la carte

Tous les jours, des hommes et des femmes partent sans rien d'autre que leur corps, tentent de rejoindre l'Europe, échouent et meurent. Le plus souvent sans sépulture, sans identité, sans que l'on sache quel nom inscrire sur les deux bouts de bois bricolés pour faire une croix, ni selon quel rite. Ce sont des hommes et des femmes qui meurent sans nom, sans religion. Combien de migrants meurent ainsi chaque année ?

Entre 2000 et 2013, ils seraient plus de 23 000 à avoir trouver la mort en tentant de rejoindre l'Europe, par la mer, ou par la terre en traversant les frontières du vieux continent. Soit en moyenne 1 600 migrants par an. "C'est 50 % de plus que les chiffres habituellement avancés ; un bilan humain équivalent à celui d'une guerre", rapporte L'Espresso.

 

Projet transnational

Ces nouveaux chiffres sont issus d'une des plus ambitieuses enquêtes réalisées sur ce sujet. Le projet "Migrants Files", dont les résultats sont en libre accès sur le site officiel de l'enquête en question, est né de la tentative de construire une base de données inédite en croisant le maximum d'informations disponibles.

Il a été lancé en août 2013 par un groupe de journalistes européens - L'Espresso, eurobserver.com, El Confidencial, Neue Zürcher Zeitung, Le Monde diplomatique, etc -, l'organisation non-gouvernemantal Journalismfund.eu et grâce à la collaboration de deux réseaux de datajournalism; Dataninja et Journalism++      

 

Trois bases de données

Les résultats de Migrant Files sont consultables sous la forme d'une carte interactive très complète. Ce travail de recensement est fondamental et, comme on peut l'imaginer, particulièrement difficile. Les sources et données utilisées par Migrants Files proviennent essentiellement de United for Intercultural Action (réseau paneuropéen contre la nationalisme, le racisme, le fascisme et pour le soutien des immigrants et des réfugiés), Fortress Europe, un blog fondé par le journaliste italien Gabriele Del Grande et qui fait référence - et du centre commun de recherche (CCR) de la Commission européenne.

Le travail des journalistes impliqués dans ce projet a essentiellement consisté à recroiser et recouper l'ensemble des données et, surtout, à les vérifier. Seize étudiants du Laboratoire de Data Journalism de l'Université de Bologne en Italie ont aussi participé à cette énorme entreprise de fact-checking. Dans un second temps, l'ensemble des données ont été compilées dans un outil d'investigation et d'analyse sur Internet : detective.io.

 

Combler un manque

Si cette intiative émerge de la société civile, c'est parce que, selon L'Espresso, il n'existe pas d’institutions, ni en Italie, ni en Europe, qui effectuent systématiquement ce type de recensement. Il n'existe à vrai dire que des estimations fragmentaires, sur des zones ou des périodes spécifiques. Frontex, l'agence européenne pour la gestions et la coopération opérationnelle aux frontières extérieures créé en 2004 et chargé de contrôler les transits à l'entrée de l'UE, n'a pas la mission de (ni les ressources pour) "comptabiliser" ces décès et, les conditions dans lesquelles ils surviennent.

Il ressort des résultats de Migrants Files que le taux de mortalité pour les migrants qui tentent d'entrer en Europe par la mer est beaucoup plus élevé que pour ceux qui passent par la terre. La route la plus dangereuse est celle qui va de l'Afrique à Lampedusa (presque 4% des morts et disparus en 2012) suivie de la route dite "de l'est' (entre la Grèce et le Turquie, 3,4%) et de l'ouest (Canaries, Espagne), 3%).

Bien qu'étant la plus exhaustive à ce jour, cette base de donnée demeure toutefois incomplète et perfectible. Et selon les initiateurs du projet, les chiffres obtenus sont encore bien en deçà de la réalité car beaucoup de migrants meurent sans que personne ne le sache, sans qu'aucun media n'ait couvert le drame.

 

Courrier international, le 1 Avril 2014

 

Lire aussi:

Carte interactive des réfugiés dans le monde : The Refugee Project