Les autorités turques refusent d'accueillir des civils syriens blessés ayant besoin d’une prise en charge médicale immédiate, après avoir fui des zones d’Alep visées par des bombardements depuis deux semaines

Les autorités séparent les familles © Amnesty International 

Nos chercheurs se trouvent actuellement au poste-frontière d’Öncüpınar/Bab al Salam. Les personnes auxquelles ils ont parlé leur ont décrit la situation désespérée de civils restant pris au piège entre des frappes aériennes quotidiennes et des conditions humanitaires très difficiles.

A cela se rajoutent les pratiques hautement sélectives de la Turquie - seuls les blessés graves sont autorisés à se faire soigner, tandis que les autres personnes fuyant les violences ne bénéficient d’aucune protection. Ils ont également recueilli des informations montrant que les forces turques de sécurité ont blessé par balle des civils, notamment des mineurs, qui tentaient de franchir clandestinement la frontière avec l’aide de passeurs.

 

LA TURQUIE RESTREINT L'ACCES POUR LES REFUGIES

Quelque 58 000 personnes sont arrivées dans la zone frontalière de Bab al Salam ces deux dernières semaines après avoir fui une offensive terrestre et aérienne intense menée par le gouvernement syrien et les forces alliées, notamment les forces russes, ainsi que par les Forces démocratiques syriennes, qui incluent des groupes armés non étatiques arabes et kurdes, contre des zones du nord d’Alep tombées aux mains de l’opposition.

La vaste majorité de ces personnes restent bloquées à la frontière. Seuls les blessés graves sont autorisés à se faire soigner, tandis que les autres personnes fuyant les violences ne bénéficient d’aucune protection.

Les autorités turques ne permettent pas aux familles de personnes grièvement blessées d’entrer sur le territoire ensemble, y autorisant parfois le patient et un proche mais laissant le reste de la famille, y compris des enfants, à la frontière. Dans au moins deux cas, des parents ou des enfants blessés ont été séparés de leur famille à la frontière :

Une mère qui accompagnait en Turquie son fils de 11 ans grièvement blessé a expliqué qu’ils ont été séparés à la frontière. Bien que le jeune garçon ait été blessé à la jambe en même temps que son père lors d’une frappe aérienne, il n’a pas été autorisé à traverser la frontière avec le reste de la famille :

Ils [les forces russes et syriennes] avaient bombardé toute la journée [...] Mon époux et notre fils de 11 ans ont été blessés aux jambes par des éclats métalliques lorsqu’une frappe s’est abattue à quelques mètres le 8 février vers 1 heure du matin, tandis que nous dormions. Ils [les autorités turques] n’ont autorisé que mes trois enfants de moins de cinq ans et moi-même [...] à franchir la frontière avec mon époux dans l’ambulance, laissant mon fils en Syrie parce que ses blessures ne mettaient pas sa vie en danger. »

Un autre homme a déclaré que sa fille qui avait été blessée au dos par des éclats d’obus à Kal Jabrine le 15 février n’a pas été autorisée à entrer en Turquie avec son époux et leur fille âgée d’un an, qui étaient tous les deux gravement blessés. Il a ajouté que son gendre est en soins intensifs et que sa petite-fille a succombé à ses blessures, mais que la Turquie n’a toujours pas autorisé la mère à se rendre sur place.

Si la Turquie a semble-t-il accueilli quelques dizaines de personnes qui avaient besoin de soins médicaux urgents ces deux dernières semaines, elle n’a pas laissé entrer sur son territoire des personnes souffrant de maladies chroniques, comme des cancers, ou dont l’état nécessite une dialyse, bien que les centres médicaux syriens n’aient pas les médicaments ni les équipements nécessaires pour traiter ce genre de cas comme il se doit. Nos chercheurs n’ont trouvé aucun élément prouvant, comme l'affirment les autorités turques, que 10 000 réfugiés syriens ont été autorisés à franchir la frontière à Öncüpınar/Bab al Salam.

 

ABSENCES DE SOINS MEDICAUX POUR DES BLESSES

Les conséquences pour ceux qui sont empêchés de se rendre en Turquie sont alourdies par une absence de soins médicaux adaptés sur le territoire syrien, du fait des frappes aériennes incessantes menées par les forces gouvernementales russes et syriennes contre des hôpitaux et d’autres établissements médicaux. Au moins cinq centres médicaux ont été touchés à Alep en janvier, et au moins quatre autres pour le seul 15 février.

« Étant donné que plusieurs hôpitaux ne sont plus en état de fonctionner, il nous est très difficile de prodiguer des soins. Nous n’avons pas assez de chirurgiens ni d’équipement. Nous transportons les blessés en ambulance à l’hôpital de Bab al Salam, à la frontière, en demandant qu’ils soient transférés en Turquie mais la plupart nous sont renvoyés parce que leurs lésions ne sont pas graves », a déclaré le médecin, ajoutant que de nombreux autres civils blessés se trouvent toujours à Azaz.

Des médecins syriens ont expliqué à Amnesty International qu’une fois que les blessés arrivent à l’hôpital de Bab al Salam, à la frontière, des professionnels turcs de la santé sélectionnent ceux qui seront transférés dans des hôpitaux turcs pour y recevoir des soins. Les autres sont renvoyés chez eux si les médecins estiment que leurs blessures ne mettent pas leur vie en danger et ne nécessitent pas de soins urgents.

DES TIRS A LA FRONTIERE

 

Avec la frontière bloquée, des personnes tentent de mettre en sécurité avec l’aide de passeurs. Nos chercheurs ont recueilli des informations montrant que les forces turques de sécurité ont blessé par balle des civils, notamment des mineurs, qui tentaient de franchir irrégulièrement la frontière.

Ces deux derniers mois, les hôpitaux syriens d’Azaz reçoivent chaque jour en moyenne deux civils ayant été blessés par balle parce qu’ils avaient tenté de franchir la frontière de cette manière. Dans un cas, un enfant d’une dizaine d’années a été atteint à la tête. Rien ne semble indiquer que des groupes armés sont présents dans la zone frontalière, qui est par ailleurs très éloignée du front.

La plupart des points de passage officiels le long de la frontière entre la Turquie et la Syrie restent fermés. Les autorités turques ne laissent passer que des personnes grièvement blessées, ou celles ayant besoin d’une aide humanitaire en urgence - généralement lorsque les combats sont très proches de la frontière. En pratique, cela signifie que presque tous les réfugiés syriens en Turquie ont été forcés à utiliser des points de passage dangereux avec l’aide de passeurs.

ACCUEILLIR LES REFUGIES : UNE RESPONSABILITE A PARTAGER

Il est évident que certains pays voisins de la Syrie, en particulier la Turquie, le Liban et la Jordanie sont mis à très rude épreuve par l’afflux de réfugiés. Plus de 2,6 millions de Syriens ayant fui leur pays se trouvent actuellement en Turquie, ce qui en fait l’un des pays accueillant le plus de réfugiés au monde.

Mais le fait que la Turquie restreigne même l’accès de Syriens malades et blessés à son territoire montre que sa politique actuelle de contrôle des frontières est loin d’être conforme à ses obligations internationales en matière de protection. La frontière doit rester ouverte à tous ceux qui fuient le conflit en Syrie, en particulier les civils blessés et malades ayant été visés par des frappes aériennes quotidiennes à leur domicile, dans les hôpitaux et dans les écoles.

L’Union européenne insiste pour que la Turquie garde les réfugiés hors d’Europe, aux dépens des besoins immédiats de protection de milliers de Syriens fuyant d’intenses bombardements quotidiens à Alep et ailleurs.

Nous avons appelé à de nombreuses reprises la communauté internationale à partager la responsabilité d’accueillir les réfugiés avec les pays voisins de la Syrie, en augmentant le nombre de places de réinstallation et l’aide humanitaire. 450 000 des réfugiés les plus vulnérables venant de Syrie doivent être réinstallés en Europe, en Amérique du Nord et ailleurs d'ici la fin 2016.

 

amnesty.fr 22/02/2016