Migrants ou réfugiés ? Le débat sémantique s’installe en Europe pour savoir comment qualifier les milliers de personnes qui arrivent quotidiennement sur les côtes méditerranéennes. Le premier terme est fustigé pour ne pas refléter la détresse de ceux qui, le plus souvent, fuient un conflit.

Le média qatari Al-Jazira a ainsi annoncé le 20 août qu’il n’utilisera plus que le mot « réfugié » dans le contexte méditerranéen :

« Le terme parapluie “migrant” ne suffit désormais plus pour décrire l’horreur qui se déroule en mer Méditerranée. Il a évolué depuis ses définitions de dictionnaire, pour devenir un outil péjoratif qui déshumanise et distance. (…) C’est un mot qui ôte la voix aux personnes qui souffrent. »


Al-Jazira rappelle que la plupart de ces personnes viennent de Syrie − où une terrible guerre civile se déroule depuis quatre ans −, d’Afghanistan, d’Irak, de Libye, d’Erythrée ou de Somalie, « autant de pays dont les ressortissants obtiennent généralement l’asile ».

Alors que d’autres médias s’interrogent, à l’image du Guardian, et que le débat prête le flanc aux interprétations politiques, quelles réalités recouvrent les définitions des termes « migrant » et « réfugié » ?

Tout réfugié est un migrant…

En droit international, le « réfugié » est le statut officiel d’une personne qui a obtenu l’asile d’un Etat tiers. Il est défini par une des conventions de Genève (« relative au statut des réfugiés »), signée en 1951 et ratifiée par 145 Etats membres des Nations unies :

« Le terme “réfugié” s’appliquera à toute personne (…) qui, craignant d’être persécutée du fait de sa race [son origine], de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ; ou qui, si elle n’a pas de nationalité et se trouve hors du pays dans lequel elle avait sa résidence habituelle à la suite de tels événements, ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner. »


Ce statut peut être « perdu » si la situation dans son pays a changé, si la personne y est retournée volontairement ou encore si elle a changé de nationalité.

Une demande d’asile est normalement individuelle. Est donc réfugiée toute personne qui a demandé l’asile et est reconnue par un Etat comme ayant fui son pays en raison de menaces sérieuses pour sa vie. Cette condition doit normalement être argumentée : le réfugié doit apporter à son Etat d’accueil la preuve de ces menaces.

Le cas spécifique des conflits généralisés. Ces dernières années, les réfugiés en Europe ou au Moyen-Orient sont principalement des Syriens, Afghans, Irakiens ou encore des Libyens. Autant de pays en proie à des guerres civiles largement reconnues sur le plan international. Dans le cas d’afflux massifs d’habitants fuyant des combats, le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) reconnaît que « la capacité de mener un entretien personnel d’asile avec chaque personne ayant traversé la frontière n’est pas suffisante – et ne le sera jamais. Cela ne s’avère d’ailleurs pas nécessaire dans la mesure où, dans de telles circonstances, la raison de leur fuite est généralement évidente ». Ces groupes sont alors dits réfugiés prima facie, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas besoin d’apporter la preuve de persécutions.

Dans une note d’octobre 2013 consacrée à la Syrie, le HCR déclare donc qu’il reconnaît comme « réfugié » toute personne fuyant le pays et correspondant à des profils parfois très spécifiques (opposants, journalistes) mais aussi très larges : enfants pouvant être menacés par des actes de violence, femmes risquant d’être violées ou mariées de force, personnes appartenant à un groupe religieux ou un groupe ethnique… ce qui recoupe toute la population. Les soutiens du gouvernement, traqués par les rebelles, sont également inclus. Seuls les individus reconnus comme ayant commis des actes de violence sont exclus de cette disposition.

… mais tous les migrants ne sont pas des réfugiés

Le dictionnaire Larousse définit un « migrant » comme toute personne qui effectue une migration, c’est-à-dire qui se déplace volontairement dans un autre pays ou une autre région « pour des raisons économiques, politiques ou culturelles ». Le Petit Robert restreint la raison de ces déplacements au fait de « s’établir ».

Dans les faits, les milliers de personnes ayant traversé la mer Méditerranée sont bien des migrants, car ils se sont déplacés d’un pays à un autre, même d’un continent à un autre. Parmi eux se trouvaient des personnes considérées comme réfugiés par le HCR (comme les Syriens). Les autres, de nationalités diverses, quittant un pays en développement pour chercher une vie meilleure en Europe, sont dits « migrants économiques » car « ils font le choix du déplacement pour de meilleures perspectives pour eux et pour leurs familles », explique le HCR. Les réfugiés, quant à eux, sont « dans l’obligation de se déplacer s’ils veulent sauver leur vie ou préserver leur liberté ».

Ce sont les migrants économiques qui sont généralement ciblés par les politiques dures en matière d’immigration. Le HCR regrette depuis plusieurs années que des mesures soient « appliquées de manière indiscriminée et rendent très difficile, sinon impossible, l’entrée des réfugiés dans un pays où ils pourraient trouver la sécurité et le soutien dont ils ont besoin, et auxquels ils ont droit en vertu du droit international ».

Malgré tout, considérant que la majorité des migrants traversant la Méditerranée « viennent de pays en guerre ou en proie à des violences et des persécutions (Syrie, Afghanistan, Irak, Erythrée) », le HCR, contacté par Le Monde, décrit le mouvement massif vers l’Europe comme « une crise de réfugiés ». Il utilise toutefois les deux termes, réfugiés et migrants, pour décrire la population dans son ensemble, assurant par exemple que, « jusqu’à aujourd’hui, 292 000 réfugiés et migrants sont arrivés par la mer en Europe en 2015 ».

L’utilisation des deux termes est également le parti pris des organisations telles qu’Amnesty International, Human Rights Watch ou encore la Cimade en France. Cette dernière fournit un accompagnement juridique aux migrants et tient, sauf exception, à privilégier le vocabulaire précis : des demandeurs d’asile peuvent être déclarés réfugiés en cas de réponse positive. « Le terme de “réfugié” est très précis dans le droit international, alors nous ne l’utilisons que dans ce contexte, explique Louise Carr, du programme des personnes déracinées à Amnesty International. Mais il est vrai que le terme “migrant” est de plus en plus connoté péjorativement et recoupe beaucoup de situations très diverses. »

L’asile constitutionnel et la « protection subsidiaire » comme alternatives
Le statut de réfugié n’est pas le seul possible pour des demandeurs d’asile. La France, par le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 – à laquelle le préambule de la Constitution de 1958 fait référence –, reconnaît l’asile constitutionnel. Il peut être octroyé « à toute personne persécutée en raison de son action en faveur de la liberté ».
Par transposition de règles européennes, la France peut aussi accorder une « protection subsidiaire » à toute personne ne remplissant pas les conditions d’octroi du statut de réfugiés mais étant menacée de peine de mort, de traitements inhumains ou dégradants ou de « violence aveugle résultant d’une situation de conflit armé interne ou international ».

www.lemonde.fr le 25.08.2015