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Destins croisés: les réfugiés syriens en Afrique du Nord

La plupart n'ont pas cherché à aller bien loin. La Jordanie et le Liban implosent actuellement sous la pression des centaines de milliers de réfugiés syriens. Mais d'autres qui ont fui la guerre ont poussé jusqu'en Afrique du Nord. Plus de 100,000 en Egypte, et quelques dizaines de milliers au Maghreb, affirme le Haut-Commisariat pour les Réfugiés (UNHCR). Entre persécutions, mariages de "jouissance" et mendicité, ils ne partagent pas tous le même sort. Voyage d'Est en Ouest.

Où les Syriens se transforment en Frères musulmans

"Au début, tout allait bien. Mais juste avant l'Aïd, tout a changé". Retrouvé par Amnesty International, ce réfugié fait référence au Coup d'Etat contre Mohamed Morsi et la marginalisation subséquente des Frères musulmans en Egypte.

Désormais, "le pouvoir égyptien fait circuler l'idée selon laquelle les Syriens sont tous pro-Frères musulmans", raconte le cinéaste syrien Orwa Nyrabia, exilé au Caire depuis un an, à SlateAfrique.

    "Dans l’esprit de beaucoup de personnes, se cache derrière chaque Syrien un partisan de la confrérie. Dans un contexte où les réflexes racistes sont encouragés par les plus hautes sphères de l’Etat, les réfugiés syriens en payent le prix fort".

Ne bénéficiant d'aucun soutien financier de la part du pays d'accueil, les Syriens ne sont pas considérés comme réfugiés. Le 8 juillet, les autorités égyptiennes ont d'ailleurs posé des restrictions à leur entrée sur le territoire. Selon l'UNHCR, l'immigration aurait, depuis, quasiment cessé.

Pour ceux déjà présents, la persécution par les autorités est omniprésente. 70 réfugiés suspectés d'immigration illégale auraient ainsi été arrêtés dans un café d'Alexandrie et embarqués au poste de police. Selon Amnesty International, à la date du 19 juillet au moins 7 enfants syriens étaient enfermés dans des centres de détention cairotes.

L'obstination des autorités se traduit par ailleurs dans les lignes éditoriales de plusieurs médias prêts à nourrir un discours de violence. Le 15 juillet, le présentateur de talkshow Tawfiq Okasha annonçait dans son émission de la chaîne Al Farain:

"Au nom du peuple égyptien, je donne à tous les Syriens résidant en Egypte un ultimatum de 48 heures. Le peuple égyptien sait où vous habitez. Nous avons toutes vos adresses. Si vous êtes assis avec des Frères musulmans après 48 heures, le peuple sortira pour détruire vos maisons. Nous avons toutes vos adresses. Le peuple détruira vos maisons."

Le traitement des réfugiés syriens est "une violation du droit international", indique Amnesty. Les réfugiés syriens sont isolés. "S'ils sont attaqués dans la rue, les policiers n’interviendront pas», rappelle Orwa Nyrabia.

Où les Syriennes deviennent des moutons

Nombreux sont ceux qui arrivent en Libye dans le but de rejoindre l'Europe. Les côtes libyennes regorgent de bateaux de passeurs prêts à embarquer les Syriens à prix d'or vers les côtes de Lampedusa. Les navires des autorités ne font alors pas de quartier. Début octobre, des "miliciens" auraient suivi une embarcation pendant près de cinq heures. Ils ont "tout à coup" commencé à tirer, racontait Mohammed, un des immigrants.

Pour ceux qui restent, aucun camp d'accueil n'a été mis sur pied. Ils vont loger dans des appartements, à l'hôtel ou chez des connaissances (90 000 Syriens étaient déjà résidents-travailleurs en Libye avant 2011).

Le Conseil national syrien de Benghazi a tenté d'organiser leur accueil. Mais selon Emmanuel Gignac, directeur de l'UNHCR en Libye, "la majorité se tient éloignée des centres opérationnels gérés par les organisations caritatives syriennes en raison de soupçons portant sur une infiltration par les services secrets syriens" (IRIN).

Pendant que les hommes travaillent, certaines femmes sont, de leur côté, vouées à un destin différent. "Elles s'offrent en mariage à des Libyens, car elles n'ont pas d'autres moyens d'assurer leur survie", affirme Mohamed, réfugié à Misrata, à un enquêteur de l'IRIN. Un autre réfugié ajoute: "A Benghazi, on appelle les Syriennes Moutons, parce qu'elles ne coûtent pas cher".

Où les Syriens font l'aumône dans les mosquées

En 2012, le quotidien La Presse racontait la vie de trois familles de réfugiés syriens installées à la cité Ettahrir, avec l'aumône dans les mosquées comme seules sources de revenus. Une famille était soutenue par des voisins, une autre non.

Le Croissant Rouge tunisien (CRT) affirmait alors que les réfugiés, qui ont le statut de "nouveaux arrivants" et non de "réfugiés" étaient surtout présents dans les régions de Kasserine, de Gafsa et dans le Grand-Tunis. Mais leur nombre demeure inconnu. Le visa pour la Tunisie est difficile à obtenir.

Les difficultés à les identifier et à entrer en relation avec eux sont multiples. "On suppose que, parlant arabe, ils disposent déjà de réseaux à leur arrivée", avance Julia Gouyou Beauchamp, chargée des relations extérieures au bureau tunisien du Haut-Commissariat pour les Réfugiés, dans un entretien au HuffPost Maghreb. Pas plus de 80 personnes ont été enregistrées par le HCR.

"Il se pourrait qu'ils aient peur, en s'enregistrant en tant que réfugiés, d'être perçus comme prenant partie [en Syrie, ndlr]", ajoute Mlle Gouyou Beauchamp. Comme si la guerre les poursuivait par-delà les frontières.

Où les Syriens envoient leurs enfants à l'école

En Algérie aussi, les Syriens s'en remettent souvent au bon vouloir des familles locales ou des connaissances. Certains finissent par verser dans la mendicité et, selon El Watan, "les gens sollicités mettent souvent la main à la poche".

Les autorités algériennes ont quant à elles cherché à faciliter la scolarisation des enfants réfugiés, un défi que les autres pays d'Afrique du Nord n'ont pas encore relevé. Les parents peuvent désormais inscrire leurs enfants à l'école en s'adressant directement aux directions des wilayas.

Mais un enfant à l'école, c'est une bouche à nourrir qui fait pas rentrer d'argent. A Alger, "la vie est trop chère", regrettent les parents sur AlgerieFocus, qui, bien informés, vont chercher à rejoindre Médéa, à l'instar de nombreux Syriens les ayant précédé. “On nous a prévenu qu’il y avait du travail là-bas”.

Les Syriennes d'Algérie partagent parfois le destin de leurs concitoyennes en Libye. A Alger et Oran, des réseaux proposeraient ainsi des "mariages de jouissance", sous office d'un imam, à des Algériens aisés. Tout un programme.

Où les Syriens entrent grâce au Roi

A l'instar des autres pays du Maghreb, le Maroc ne délivre ni visa ni statut aux réfugiés. En situation irrégulière tolérée "sur dérogation de Sa Majesté", les Syriens restent sous le joug arbitraire des autorités.

    "Le gouvernement n’a rien fait sous prétexte, officieusement, du danger que représenteraient les Syriens. Pour le pouvoir, soit ils sont alaouites, et dans ce cas il s’agit de suppôts du régime de Bachar Al-Assad, soit ils sont sunnites et ce sont des terroristes", résume Stéphane Julinet, chargé de programme au GADEM, à Yabiladi.

Où qu'ils en viennent à se réfugier, les Syriens et Syriennes demeurent liés dans l'isolation et l'instabilité. D'Est en Ouest, l'Afrique du Nord les accueille dans une précarité propre à un statut de réfugié qu'ils n'obtiennent, au final, que rarement.

Huffington Post Maghreb, le 29/10/2013