La question migratoire fait toujours partie de l’actualité nationale. Mais, sa couverture médiatique a toujours besoin d’un traitement journalistique spécifique, du fait de la complexité du phénomène et la vulnérabilité des catégories représentées.

 

Cela relève d’un exercice professionnel doublé de l’éthique du métier qui obéit aux fondamentaux des droits humains dans leur acception la plus large. Soit une approche qui tienne compte des profils et du caractère intrinsèque des flux migratoires. D’ailleurs, elle a fait récemment l’objet d’une formation de presque trois jours à Tunis, initiée par Terre d’Asile, une association qui se charge de la migration depuis 2013. L’enjeu est de mise.

« La migration est un sujet généralement polémique dans la société actuelle, difficilement abordé de façon neutre et objective. On note fréquemment une approche sécuritaire du traitement des mouvements migratoires, mais aussi une vision misérabiliste des personnes migrantes », ainsi juge ladite association. Elle défend sa cause et croit que les médias, eux, peuvent mieux faire, sans pour autant verser dans le sensationnel ou la stigmatisation.  A ses yeux, l’analyse du contexte migratoire tunisien laisse à nourrir doute et flou. Et le lexique utilisé pour décrire un cadre juridique lié à cette thématique pose encore problème. A cela s’ajoute, plus souvent, une faible connaissance des sources d’information les mieux indiquées. Cette maladresse risque de susciter une perception péjorative, voire réductrice des migrants. Quitte à voir leur présence dans la société gravement menacée. L’association dénonce, en quelque sorte, tout manquement aux préceptes professionnels dans le traitement du phénomène de la migration. La non- vérification des faits prête à interprétation. Et encore à compréhension liée au sujet. Et là, toute confusion des concepts juridiques relatifs à des statuts particuliers qui entrent dans l’état des faits migratoires est de nature à poser problème. Migrants, réfugiés ou demandeurs d’asile, le statut n’est pas le même, d’autant que les raisons de déplacements hors des pays d’origine sont aussi multiples que complexes. La terminologie semble bel et bien nuancée.

Se référer à la source

Parlons-en ainsi, tout migrant n’est pas forcément réfugié. Alors que ce dernier est censé être un migrant forcé pour des raisons sécuritaires, politiques ou de culte. L’on doit, ici, se référer à la source : la Convention de Genève en 1951 et les protocoles internationaux y afférents ont dû lever toute équivoque. Selon l’Unhcr, instance onusienne à laquelle est confié le dossier des réfugiés : «Les réfugiés sont les personnes qui, craignant avec raison d’être persécutées du fait de leur race, religion, nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques, se trouvent hors du pays dont ils ont la nationalité et qui ne peuvent ou, du fait de cette crainte, ne veulent se réclamer de la protection de ce pays ». Ceux-ci ont plein droit à la protection internationale, ce qui relève du mandat de l’Unhcr, dont la mission est de leur fournir l’assistance requise, mais aussi leur apporter des « solutions durables », en étroite coordination avec ses partenaires exécutifs (gouvernements en place, société civile, Croissant-Rouge…). Cependant, un demandeur d’asile n’aura un statut du réfugié qu’après régularisation de la situation d’installation. Faute de quoi, la population des migrants est placée en état d’irrégularité, devenue de plus en plus sujette à la surexploitation et à la traite.

Pour un système d’information unifié

Pour savoir si la Tunisie est une terre d’asile ou de transit, l’on se demande, a priori, combien d’étrangers sont établis sous nos cieux ? La question semble de taille, dans la mesure où la réponse peut conférer plus de précision. L’association, elle, a donné une autre qualification : la Tunisie est plutôt un pays d’installation que d’accueil.

Bien que les chiffres soient, relativement, contradictoires, révélés à tort et à travers, le total s’élève, selon l’Institut national de la statistique (INS), à 53 mille personnes, issues de plusieurs dizaines de nationalités, dont 12 mille sont originaires de pays africains. Terre d’Asile Tunisie les évalue, plutôt, à plus de 70 mille. Plus précisément, l’Unhcr parle de quelque 8 mille réfugiés sur le territoire national. Quant à l’OIM-Tunisie, son site n’affiche rien sur les chiffres officiels des migrants. Soit, à chacun sa propre base de données.

Cela dit, il n’y a nullement des informations unifiées se rapportant à ce sujet. Et pour cause ! L’INS s’est déjà appliqué, depuis l’année dernière, à « mettre en place un système d’informations sur la migration en Tunisie, sur l’étude de la problématique, des motifs, des causes, de la dynamique et des effets de la migration internationale et sur les liens entre migration et développement ».

Ce qui pourrait démêler l’écheveau et donner droit d’accès à l’information. Cela pourrait, par ailleurs, aider les médias à se documenter, afin d’éclairer les lanternes sur les faits rapportés. Et parfois, la réalité du terrain ne reflète pas évidemment la véracité des faits. Seul un recoupement d’informations est susceptible d’apporter la vérification.

Le rôle du journaliste

D’autres critères journalistiques entrent dans ce cadre, comme l’a bien souligné le formateur Sadok Hammami, professeur à l’Ipsi, à Tunis. En matière de migration, il a fait valoir une approche de traitement basée sur les Droits de l’homme qui repose sur quatre principes, à savoir la responsabilité, la non-discrimination, l’autonomisation et le respect des normes internationales.

En fait, dans un contexte comme le nôtre où le « fake news » l’emporte bien trop souvent, le journaliste doit être « le garant du droit de savoir des citoyens, c’est-à-dire le droit de connaître le fonctionnement des institutions publiques », martèle-t-il. Voire un « chien de garde » bien outillé, ayant le libre choix de se servir de différents genres journalistiques qu’il utilise dans sa couverture de la situation migratoire en Tunisie.

Il y en a du moins trois censés être en mesure de bien vulgariser le phénomène auprès du public : journalisme explicatif (explainer), celui de solution et de vérification. On les avait déjà mis en avant au cours de la formation.

Dans ce même sens, l’ex-diplomate et ancien haut cadre au sein de l’Unhcr, Mustapha Jemmali, avait, un jour, fait état de l’apport médiatique lors de la guerre d’Irak en 1990, de l’embargo sur la Libye au début des années 90, ainsi que lors des flux massifs d’Algériens en Tunisie fuyant les persécutions islamistes dans leur pays.

C’étaient, toujours, des cas de réfugiés qui n’avaient pas, à l’époque, échappé à l’observation des médias. « Les journalistes sont, entre autres, nos partenaires du terrain qui attirent notre attention sur un constat d’état pareil…», a-t-il avoué. Leur rôle est important dans la protection internationale des réfugiés, à moins que certaines couvertures d’événements ne se fassent dans les règles de l’art. Reste, somme toute, que l’information doit être crédible et objective.

Publié par Kamel Ferchichi sur La Presse