En Tunisie, et dans le cadre de la lutte anti-covid-19, les personnes migrantes sont en première ligne de mire et doivent accéder à la vaccination sur un  pied d’égalité que tous les citoyens. Entre hésitation, réticence et peur, nombreuses et nombreux affluent timidement aux centres de vaccination en Tunisie… Tandis que d’autres esquivent. Un travail laborieux d’ONG, de bénévoles, d’institutions est en train de se faire sur terrain en étroite collaboration avec l’Etat tunisien. Leur mobilisation persiste, mais se heurte à des difficultés … (in)surmontables ?

L’accès à la vaccination reste un droit universel pour toutes et tous. Faire vacciner le plus possible de citoyennes et de citoyens relève de l’urgence dans tous les Etats du monde. En Tunisie, l’accélération des campagnes de vaccination et l’enchaînement des journées portes ouvertes sur tout le terrain augmentent le taux des personnes vaccinées, favorisent la diminution des complications graves et réduisent le taux de mortalité.

La courbe de contamination est en chute, et les restrictions sanitaires ont été allégées au fur à mesure : plus de 4 millions de citoyens tunisiens et de résidents, toute communauté confondue, ont reçu leur dose de vaccin complète… un état des lieux rassurant, mais la vigilance reste de mise.

Pour les personnes migrantes, un travail de fond est toujours en train d’être effectué : Terre d’asile Tunisie, Médecins du monde Tunisie, OIM et autres institutions et associations travaillent en étroite collaboration avec l’Etat afin de garantir la vaccination pour toutes et tous. Bénévoles, toutes nationalités, subsahariennes ou tunisiennes, tendent la main aux communautés et aux populations vulnérables afin de les inciter à se faire vacciner.

 

 La ruée timide vers  la vaccination 

Au centre de migrants de La Marsa, des personnes subsahariennes demeurent dans ce lieu et ses environs, vaquant à des occupations des plus ordinaires et répondant spontanément à  celles et ceux désireux d’accéder au centre de la vaccination de la ville, situé à quelques mètres.

Ce jour-là, il n’y a pas foule et queue interminable de citoyens venus se faire vacciner, mais infirmiers, médecins et corps administratif sont à l’écoute et citent d’une manière récurrente la disponibilité des vaccins pour tout le monde, sans exclusion aucune.

« Nous faisons en sorte de recenser toutes les personnes désireuses de se faire vacciner sans aucune ségrégation basée sur le genre, les origines ou autres », déclare une femme médecin, présente sur place. « Le vaccin pour toutes et tous est exigé et nous nous assurons que toute personne puisse y avoir accès. Les populations de migrants subsahariens sont très présentes sur le Grand-Tunis et viennent souvent ici en famille, ou seules de l’Aouina, La Soukra, Raoued, centre-ville de Tunis et autres régions… Il s’agit de notre sécurité sur le plan individuel et collectif : Il faut casser les cercles de contamination pour un résultat plus impactant et donc effectuer une vaccination de masse», conclue-t-elle entre deux doses de vaccin effectuées.

Tarek,  infirmier, interrogé furtivement, souligne la présence des personnes migrantes depuis le début des journées portes ouvertes et qui, selon lui, sont accueillies et traitées comme tout le monde. La plupart sont munies de papiers divers leur permettant de se faire vacciner et d’être recensés comme personnes ayant reçu le vaccin. Celles et ceux pas encore inscrits sur la plateforme reçoivent leur dose et sont enregistrées sur la plateforme Evax par les informaticiens qui chaperonnent la logistique et l’aspect technique dans chaque centre en Tunisie. L’infirmier nuance cependant ses propos, en affirmant,  qu’un scepticisme et de la réticence se font sentir et des questionnements finissent par surgir. « Mais ce n’est pas propre aux personnes migrantes, cette méfiance est propre à tout le monde », déclare-t-il.

Fathi A, informaticien, qualifie de « normale » l’affluence des personnes migrantes vers la vaccination. Selon lui, entre 10 et 12 personnes par jour, des fois moins, parfois un peu plus se présentent. «Nous remarquons une présence beaucoup plus importante des personnes migrantes subsahariennes lors des journées portes ouvertes. Je ne peux fournir les chiffres exacts parce qu’ils ne sont pas à ma portée actuellement, mais c’est une constatation générale de notre part,  toute l’équipe présente ici. Il y en a qui viennent munis  de leur téléphone, de leur rendez-vous SMS, et se font traiter comme tout le monde. D’autres en situation irrégulière présentent des numéros, ou des cartes spécifiques fournies par des organismes leur permettant de se faire vacciner en toute sécurité. Notre rôle, c’est de recenser un maximum de personnes vaccinées, tout étranger et personnes confondues présentes sur le territoire tunisien. En tant qu’informaticien,  ce dont je suis certain, c’est qu’il y a eu plus de 80 millions de SMS envoyés, en général : sur une population de 13 millions, c’est tout de même considérable. Enormément de personnes ont donc été incitées à se faire vacciner», atteste le quarantenaire.

 

 

En quittant les lieux, et à quelques mètres du brouhaha, deux migrants subsahariens indiquent à des passants lambda l’emplacement du centre. A la question : « S’ils se sont fait vacciner ou pas ? », le silence et les sourires sont esquissés spontanément en guise de réponse. Une réaction qui en dit long sur leur opinion… et de répondre vaguement : «Nous préférons attendre encore un peu, on n’est pas pressé».   

Selon des chiffres approximatifs, entre 400 et 600 migrants sont venus se faire vacciner depuis le début de la campagne nationale de vaccination et des journées portes ouvertes tenues sur tout le territoire tunisien, selon le département informatique du centre. Quant aux individus issus de populations migrantes, vulnérables et dont la situation est irrégulière, s’ils ne se présentent pas, un numéro d’inscription ou une carte spécifique fournie par un organisme leur permet de se faire enregistrer sur Evax. Si la vaccination reste inaccessible, c’est uniquement pour des raisons logistiques.

Le travail fourni par la société civile et l’Etat tourne autour de ces nombreuses personnes incapables d’accéder à la vaccination ou qui ne veulent tout simplement pas se faire vacciner. L’occasion d’éclairer le déroulement du travail titanesque effectué par différents organismes et d’énumérer les raisons qui dissuadent les personnes migrantes de se présenter.

 

 

Mobilisation sur terrain

Face aux réticences des communautés migrantes en Tunisie, la société civile et ses organismes les plus actifs autour des questions liées aux migrants ont fusionné et ont travaillé en étroite collaboration avec le ministère de la Santé afin de régir tout un système aisé d’accès à la vaccination pour les personnes migrantes en situation irrégulière ou régulière.

Direction Sfax, « Terre d’asile Tunisie » étale son travail à l’échelle régionale afin de toucher les populations de migrants présentes en dehors de la capitale.  Le bureau de Sfax s’active en collaboration avec AZIMA, le programme élaboré autour de la vaccination nationale. Un coordinateur régional affilié à la TAT assure des campagnes de sensibilisation à la vaccination dans le Sud du pays : à Sfax, Zarzis et Médenine. Des webinaires ont aussi été organisés et traitent des étapes à réaliser pour les inscriptions sur Evax : ils se focalisent sur l’importance du vaccin, l’urgence de se protéger à l’échelle individuelle et communautaire. D’après nos sources fiables et proches du TAT Sfax, les étudiants et les entrepreneurs se sont presque toutes et tous inscrits et ont reçu leurs doses sans problème : il s’agit de la frange instruite de ces populations. Concernant les chômeurs, les travailleurs en situation irrégulière, ou chez les individus « sans-papiers »,  des idées reçues et des préjugés planent lourdement : théories du complot et réticences sont évoquées. Par ignorance  ou par manque d’information, beaucoup n’y sont pas allés. Des constatations présentes dans toutes les sociétés du monde certes, mais beaucoup plus chez les populations migrantes vulnérables.

Chez « Médecins du monde Tunisie »,  la coordinatrice du projet « migration », Maroua Ben Saïd, nous éclaire sur le déroulement de la campagne et son lancement : le programme national AZIMA garantit une communication importante autour de la vaccination en Tunisie, et le travail sur terrain de «Médecins du monde Tunisie» est lié à ce programme.

L’une des difficultés que « Médecins du monde Tunisie » a eu à contourner est de rendre la plateforme Evax accessible aux personnes migrantes : les personnes sans-papiers sont prises en charge, en leur garantissant une carte spécifique que l’organisme octroie aux personnes exclusivement sans-papiers et que ces derniers peuvent présenter dans tous les centres de vaccination.

L’autre accomplissement à faire était de rendre la communication autour de la vaccination beaucoup plus fluide : la langue arabe étant en Tunisie la plus utilisée, cela rendait inaccessible le contenu pour les personnes migrantes qui sont francophones, anglophones ou parlant d’autres dialectes.

«Avec l’aide des municipalités et des communes de Raoued, La Marsa, Bhar Lazreg, et deux arrondissements à Sfax, sans oublier les municipalités de Zarzis et de Médenine, nous faisons en sorte d’être le plus accessible possible en assurant la gestion de bout en bout des actions liées à la vaccination. Le travail s’est fait avec d’autres associations présentes aussi dans les régions citées. Les sans-papiers sont des personnes victimes de traite, de rescapés en mer, de personnes maltraitées et restent extrêmement vulnérables», affirme Maroua Ben Saïd.

Le projet Médibus, qui travaille sur la protection des personnes en situation de grande vulnérabilité sur le Grand-Tunis, prend en charge les migrants. Médibus est une clinique mobile qui entre en contact avec des personnes sans logement. Dr. Taïeb Ben Alaya, coordinateur du projet Médibus / Médecins du monde Tunisie, dévoile les dessous d’un travail minutieux sur terrain : « Nous ciblons les populations migrantes et tunisiennes, principalement en précarité de logement, et nous sortons tous les soirs pour chercher ces personnes et leur fournir une assistance psycho-médico-sociale. L’information passe très vite au sein de leur communauté. Pour la vaccination, on a facilité l’enregistrement sur Evax.tn : on a sensibilisé, informé, et orienté des personnes en situation irrégulière en les encadrant et en garantissant leur intégrité physique et morale. De nombreuses personnes vulnérables ont, en grand nombre, reçu le vaccin monodose de «Janssen», pour faciliter le recensement des individus vaccinés et à des fins logistiques. Un travail important collectif a dû se faire dans des conditions difficiles aggravées par la pandémie», cite Dr Taïeb.

L’association « By L’hwem », qui travaille avec TAT, se mobilise toujours afin de mener à bout la vaccination. Un constat primaire a été fait selon lequel il y a trop de préjugés et de fausses idées sur la vaccination chez ces populations, souffrant aussi d’un manque d’information considérable. L’association se focalise sur les migrants subsahariens et agit même trois fois par semaine sur terrain en participant aux journées portes ouvertes avec l’aide de volontaires qui s’activent pour la réussite de la campagne et assurent l’accompagnement des populations. Leur approche reste profondément inclusive. Une inclusion qui touche ces populations dans leur milieu d’accueil et les pousse en masse à se faire vacciner.

L’OIM s’active aussi et s’assure de l’insertion des personnes migrantes sur la plateforme Evax, en collaborant avec le ministère de la Santé, « Médecins du monde Tunisie » et Terre d’Asile Tunisie. La nécessité d’avoir un numéro d’inscription sur la plateforme et d’assurer un document d’identité fait partie du travail élaboré.

Les personnes migrantes restent très dépendantes du travail des ONG et des institutions spécialisées et sensibles aux questions migratoires. L’Etat des lieux actuels reste foncièrement en phase avec la progression de la campagne de vaccinations globales pour tou.tes, qui se déroule actuellement en Tunisie. 

*Ce reportage a été réalisé dans le cadre d’un programme d’appui aux productions journalistiques réalisé par TAT

*Pour des raisons confidentielles, certains noms ont été changés

*Copyright photos : Médecins du monde Tunisie / OIM 

 

Rédigé par Haithem Haouel, publié à La Presse